latin - troisième - deuxième séquence - texte n° 3

 

Texte d'étude Pline le Jeune, Correspondance, I, 8

 

C. PLINIUS CALESTRIO TIRONI SUO S.

 

Jacturam gravissimam feci, si jactura dicenda est tanti viri amissio. Decessit Corellius Rufus et quidem sponte, quod dolorem meum exulcerat. Est enim luctuosissimum genus mortis, quae non ex natura nec fatalis videtur. Nam utcumque in illis qui morbo finiuntur, magnum ex ipsa necessitate solacium est; in iis vero quos accersita mors aufert, hic insanabilis dolor est, quod creduntur potuisse diu vivere. Corellium quidem summa ratio, quae sapientibus pro necessitate est, ad hoc consilium compulit, quamquam plurimas vivendi causas habentem, optimam conscientiam optimam famam, maximam auctoritatem, praeterea filiam uxorem nepotem sorores, interque tot pignora veros amicos. Sed tam longa, tam iniqua valetudine conflictabatur, ut haec tanta pretia vivendi mortis rationibus vincerentur. Tertio et tricensimo anno, ut ipsum audiebam, pedum dolore correptus est. Increverat valetudo, quam temperantia mitigare temptavit; perseverantem constantia fugit. Jam dies alter tertius quartus: abstinebat cibo. Misit ad me uxor ejus Hispulla communem amicum C. Geminium cum tristissimo nuntio, destinasse Corellium mori. Cucurri.

Cogito quo amico, quo viro caream. Implevit quidem annum septimum et sexagensimum, quae aetas etiam robustissimis satis longa est; scio. Evasit perpetuam valetudinem; scio. Decessit superstitibus suis, florente re publica, quae illi omnibus carior erat; et hoc scio. Amisi enim, amisi vitae meae testem rectorem magistrum. Proinde adhibe solacia mihi, non haec: 'Senex erat, infirmus erat' - haec enim novi -, sed nova aliqua, sed magna, quae audierim numquam, legerim numquam. Nam quae audivi quae legi sponte succurrunt, sed tanto dolore superantur. Vale.

 

 

 

Traduction

Pline à Tironus,

 

Je souffre de la plus terrible des pertes, si ce mot est assez fort pour exprimer le malheur qui me prive d'un homme si excellent. Corellius Rufus est mort, et mort, en plus, de sa propre main ! Cette sorte de mort est la plus douloureuse, car elle n'est due ni à la nature, ni au destin. En effet, en ce qui concerne ceux qui meurent d'une maladie, c'est une grande consolation que de se dire que c'était inévitable; mais pour ceux qu'emporte une mort qu'ils ont voulue, la douleur est irréparable, parce que l'on se dit qu'ils auraient pu vivre plus longtemps. C'est la raison même, propre aux hommes sages, qui a poussé Corellius à prendre cette décision, bien qu'il eût de nombreuses raisons de vivre : la plus haute conscience, la plus haute réputation, la plus ferme autorité, et en outre une fille, une épouse, un neveu, des sœurs, et, entre autres gages, de vrais amis. Mais il était affligé d'une maladie si longue, si injuste, que toutes ces récompenses de la vie furent vaincues par les raisonnements de la mort. C'est à l'âge de trente et un ans qu'il avait été atteint d'une douleur au pied. Cette maladie s'était aggravée; il tenta de l'alléger par sa tempérance mais la constance du mal eut raison de sa persévérance. Un jour, sa femme Hispulla m'envoya un ami commun, C. Geminius, porteur de la triste nouvelle : Corellius était mort. J'accourus.

Je pense à cet ami, à cet homme que je chérissais. Certes il atteignit l'âge de soixante-sept ans, ce qui est un âge assez avancé même pour les plus robustes, je le sais. Il a échappé à une maladie incurable, je le sais. Il est mort alors que ses proches lui survivaient, alors que la république - qui comptait pour lui plus que tout - était florissante, cela, je le sais aussi. Mais j'ai perdu, oui j'ai perdu celui qui donnait un sens à ma vie.

Enfin, apporte-moi du réconfort, non pas par ces "Il était âgé, il était malade" - cela, je le sais -, mais par des paroles nouvelles, par de grandes paroles que je n'ai jamais entendues, jamais lues. Car tout ce que j'ai entendu, tout ce que j'ai lu m'aide naturellement, mais tout est vaincu par une si grande douleur.

Porte-toi bien.

 

Questions

1- Il s'agit ici d'une lettre; quelles sont les caractéristiques de ce genre ?

2- En quoi la mort de Corellius afflige t-elle Pline ?

3- Les quatre verbes soulignés sont au passif : découvrez sa formation.

 

 

Textes complémentaires :

L'amitié est un sujet récurrent dans la littérature depuis l'Antiquité.

Voici quelques textes…

 

Quoi de plus agréable que d'avoir quelqu'un à qui nous osons tout confier comme à nous-mêmes ? Quel profit tirerions-nous du bonheur si nous n'avions personne qui pût s'en réjouir aussi bien que nous ? Et il serait difficile de souffrir l'adversité sans un compagnon capable d'en souffrir encore plus que nous. Enfin tous les biens que l'homme recherche ne présentent guère chacun de son côté qu'un avantage particulier : la richesse procure des moyens d'action; les plaisirs, de l'agrément; la santé, l'absence de douleur et la pleine disposition de nos forces physiques. Mais l'amitié renferme des biens innombrables !

Cicéron, De l'Amitié, 22

 

Ce que nous appelons ordinairement amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entrecroisent. En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi".

Montaigne (1533-1592), Essais, "De l'Amitié"

 

C'est un contrat tacite entre deux personnes sensibles et vertueuses. Je dis sensibles, car un moine, un solitaire, peut n'être point méchant, et vivre sans connaître l'amitié. Je dis vertueuses, car les méchants n'ont que des complices, les voluptueux ont des compagnons de débauche, les intéressés ont des associés, les politiques assemblent des factieux, le commun des hommes oisifs a des liaisons, les princes ont des courtisans; les hommes vertueux ont seuls des amis. Céthégus était le complice de Catilina, et Mécène courtisan d'Octave; mais Cicéron était l'ami d'Atticus.

Voltaire (1694-1778), Dictionnaire philosophique, "Amitié"

 

Question

En quoi consiste l'amitié pour chacun des auteurs ?

 

 

Vocabulaire à retenir

absum, es, esse être absent

admiror, aris, ari, atus sum : admirer, s'étonner

deinde : ensuite

dolor, oris, m : la douleur

mors, mortis, f : la mort

lugeo, es, ere, luxi, luctum : se lamenter, pleurer; être en deuil

luctus, us, m : douleur, chagrin, deuil

valeo, es, ere, valui, itum : être en bonne santé

valetudo, inis, f : santé, mauvaise santé

sponte : spontanément

 

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